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Budget participatif de la Ville de Paris : quel bilan ?


Description et historique du processus
Le budget participatif de la Ville de Paris a été mis en place au cours de l’année 2014, au début de la nouvelle mandature. Il porte sur 5% du budget d’investissement annuel. Cette opération a vocation à se renouveler chaque année jusqu’en 2020 et concernera un demi-milliard d’euros sur la mandature. Le principe est de soumettre aux habitant-e-s de Paris un ensemble de propositions parmi lesquelles il-elle-s choisissent celles qui seront financées sur le budget municipal de l’année suivante.
En 2014, ce sont les services techniques municipaux qui ont élaboré les propositions soumises au vote des Parisien-ne-s ; à partir de 2015, ce sont les habitant-e-s qui ont formulé les propositions.

Les biais d’une sélection dite « technique »
Au début de l’année 2015, les Parisiennes et les Parisiens étaient donc appelé-e-s, dans un premier temps, à faire des propositions sur un site dédié. Plus de 5000 projets ont ainsi été inscrits. À cette occasion, les instances municipales incitaient aussi à soutenir et commenter en ligne les propositions. Ces soutiens ne consistaient pourtant pas en un pré-vote puisque, dans le 14e, le projet ayant obtenu le plus de soutiens n’a finalement pas été retenu (projet de logements sociaux à l’emplacement de l’ancien hôtel des Baladins, 35 rue Maurice-Ripoche).
La phase suivante a été la sélection des projets soumis au vote. Ce sont les directions municipales qui se sont chargées de ce travail. Les critères et le processus de sélection étaient prétendument techniques – comme si l’argument technique était une garantie de neutralité.
De cette façon en 2015, pour le 14e arrondissement, les propositions de création de logement social dans les immeubles (squattés et expulsés ou menacés d’expulsion) du 16, rue Pernety et du 35, rue Maurice-Ripoche ont été écartées au prétexte que ces bâtiments n’étaient pas municipaux. L’argument technique dissimule ainsi une réalité politique qui n’est pas débattue : la préemption n’est-elle plus un outil de la municipalité ? De la même façon, la proposition de notre association d’augmenter le nombre de panneaux d’affichage libre pour l’expression associative et d’opinion a été fondue sans débat dans un plus vaste ensemble à la définition imprécise « Apporter de nouveaux services aux associations ». Comme d’habitude, et quelques mois après les envolées sur la liberté d’expression suite aux attentats de janvier 2015, cela exclut la possibilité de développer les surfaces d’affichage d’opinion [1], que nous réclamons tout autant que l’affichage associatif.
Les habitant-e-s n’ont pas de possibilité, individuellement ou collectivement, de débattre, commenter et critiquer ces choix. Cette étape de présélection est donc un moment « politique » qui leur échappe.
Sur ces 5115 propositions, 622 ont été retenues dont 76 pour l’ensemble de Paris et 546 pour des projets par arrondissement [2]. 27 propositions ont été retenues pour le 14e. Toutes ces propositions étaient réparties suivant seize catégories thématiques définies par les autorités municipales, de « Cadre de vie » à « Vivre ensemble » en passant par « Culture », « Environnement », « Prévention et sécurité » ou encore « Ville intelligente et numérique ».

Le caractère des projets
La liste des projets reflète avant tout des préoccupations de personnes en capacité à s’inscrire dans ce processus complexe. Elles concernent assez majoritairement des propositions d’agrément (embellissement de la ville, protection du patrimoine, développement d’équipements liés aux technologies « innovantes », etc.). Avec 258 projets référencés [3] sur les 622, la catégorie « Cadre de vie » arrive très largement en tête ; la suivante « Éducation et jeunesse » en compte 76. La surreprésentation de cette thématique était déjà sensible avant la sélection des services techniques : sur 5115 propositions initiales, le « Cadre de vie » en comptabilisait 1262 quand la plupart des autres thématiques n’en totalisaient pas 200 chacune.
Sur les 76 propositions parisiennes et les 27 propres au 14e [4], ce qui frappe avant tout, c’est la quasi-absence de projets à caractère social ou économique. Le chômage et les difficultés de logement concernent peu les propositions retenues. Sur tout Paris, deux propositions sur 77 peuvent s’y rattacher : « Des espaces innovants pour les chercheurs d’emploi parisiens » (n°4) et « Des locaux mutualisés pour les artisans et les petites entreprises » (n°19). Dans le 14e, seule la proposition avancée par notre association (« Réhabilitation de la Maison grecque ») comporte un aspect social. Sur le total des 622 projets, un seul est classé dans la catégorie « Logement et habitat » (« Ravalement de la façade de la résidence des Epinettes » dans le 17e) et six dans la catégorie « Solidarité ».
Mais la liste des projets reflète aussi la tendance pernicieuse de la puissance publique à se désengager de certaines de ses responsabilités. Dans le 14e arrondissement, l’union locale de la FCPE (Fédération des conseils de parents d’élèves) l’a très justement remarqué. La Ville de Paris a réussi à faire passer dans le budget participatif certains projets relatifs à l’entretien et la rénovation d’équipements publics (écoles, stades), les mettant de facto en concurrence.
En période de réduction constante de dépenses publiques, on en vient ainsi à laisser aux usag-er-ère-s le choix, dépolitisé, entre la rénovation des toilettes vétustes de telle école, celle des vestiaires dégradés de tel gymnase ou la réparation des fuites d’eau récurrentes de telle bibliothèque [5]. On monte ainsi les parents d’élèves contre les associations sportives et contre les usagers de bibliothèques, tout en masquant les effets des politiques libérales mondiales sur les finances publiques, les réduisant au final à quelques cases à cocher sur un bulletin de vote. La rénovation des toilettes vétustes et inadaptées d’écoles du 14e (« Améliorer le confort dans les écoles ») fait partie des projets élus en septembre 2015 : que se serait-il passé dans le cas inverse ? La mairie aurait-elle laissé un équipement inadapté et dégradé en service ou aurait-elle utilisé une part des 95 % restants du budget d’investissement pour financer son amélioration ?

Le fonctionnement et le déroulement du scrutin
En 2015, la phase de vote s’est déroulée du 10 au 20 septembre. Elle a été prolongée, le 20 septembre au soir, jusqu’au 26 septembre pour le vote par internet.
« Ce vote est consultatif » a pu expliquer une bénévole en charge d’un bureau mobile du 14e arrondissement, le comparant à un sondage. C’est le moins qu’on puisse dire. Pour voter, il fallait avoir une adresse à Paris. On remplissait deux bulletins, un pour les projets concernant tout Paris et un pour ceux de l’arrondissement dans lequel on résidait ou dans lequel on travaillait. Les enfants « en âge de comprendre leur vote » pouvaient également participer.
En tant que ville « innovante », « intelligente et numérique », Paris proposait évidemment le vote par internet. Une fois son compte électronique municipal créé (ce qui n’a pas été sans difficulté selon certains témoignages), on pouvait donc valider ses choix en ligne. On pouvait également très facilement voter à nouveau en utilisant une deuxième adresse électronique (et ainsi de suite). Par contre, des personnes différentes votant depuis un même ordinateur n’ont pas pu faire accepter leurs choix.
« À l’ouverture du vote sur internet et dans les urnes, des journalistes avaient mis en lumière les failles d’une consultation très peu sécurisée (pas de contrôle de l’identité des votants, pas de code confidentiel...) en votant par exemple dix fois avec des adresses mails différentes » [6] : cette information, qui a fait les gorges chaudes de la presse en octobre, concernait en fait le « référendum » du PS en vue de l’élaboration de ses alliances dans le cadre des élections régionales, qui souffrait des mêmes failles. Mais, concernant les modalités du vote du budget participatif, la presse a été moins investigatrice et bien moins loquace.
« Physiquement », le scrutin du budget participatif était aussi peu contrôlé. L’émargement n’était pas obligatoire, aucune pièce d’identité n’était demandée, certaines urnes n’étaient pas surveillées. Ainsi, vers la fin du scrutin, on notait au bureau de vote du centre d’animation Marc-Sangnier, trois noms dans le cahier d’émargement et une vingtaine de bulletins dans l’urne. Absolument rien n’empêchait une personne de voter plusieurs fois.
Les bureaux étaient de deux catégories : permanents et mobiles. La liste complète a été finalisée très tardivement ; il fallait en plus la rechercher sur le site officiel du budget participatif (bureaux permanents) et sur les sites des mairies d’arrondissement (bureaux « mobiles », c’est-à-dire occasionnels). Certains bureaux prévus ont été annulés durant la période de vote sous prétexte qu’il n’y avait pas assez de passage alors qu’ils faisaient partie des bureaux répertoriés (dans le 14e celui de la Maison des associations par exemple).
Dans le 14e, notre association a aussi critiqué le choix de l’emplacement de certains bureaux. Ainsi les choix du stade Elisabeth (bureau permanent) et de certaines écoles (bureaux mobiles), au moment de l’entrée ou de la sortie des élèves avec présence de parents, étaient extrêmement biaisés : ces lieux étaient concernés par certains des projets en lice. Nous avons ainsi pu constater, à l’entrée d’une des écoles du 14e, qu’une des bénévoles tenant une urne « mobile », incitait les parents d’élèves qui accompagnaient leurs enfants à l’école à voter, en soulignant qu’un des projets du budget participatif concernait l’établissement scolaire [7].
Les conditions du scrutin dans ce cas ne favorisaient ni une réflexion approfondie ni un échange de points de vue sur différentes propositions. Celles-ci étaient souvent découvertes au moment du vote avec des descriptifs de projets réduits à la simple mention de leurs titres, sans plus de description.
Après nous être plaint-e-s du manque de neutralité dans le choix des bureaux de vote, l’adjoint du 14e en charge du budget participatif a accédé à notre demande d’installer une urne le dernier jour du vote [8] dans le jardin des Thermopyles, à côté de la Maison grecque dont notre projet proposait la réhabilitation. Une cinquantaine de personnes ont voté à cette occasion, essentiellement pour ce projet ; une habitante de Malakoff, a même été incitée à voter. Pour autant, l’avantage dont nous avons bénéficié n’a pas permis que notre projet soit sélectionné et ne nous empêche pas de critiquer le fonctionnement du budget participatif.
En 2014, la participation au scrutin du budget participatif avait dépassé les 40.000 participants. Le 20 septembre 2015, celle-ci semblait se situer entre 50.000 et 60.000. Est-ce la faiblesse de la participation par rapport aux attendus ou de nombreux bugs informatiques (empêchant par exemple la création de compte pour pouvoir voter) précédant la clôture qui ont incité la municipalité à prolonger le scrutin par voix électronique jusqu’au 26 septembre ? Finalement sont annoncés 66.867 votants, soit une participation inférieure à 3 %.

L’absence de délibération collective
Le choix des projets s’est fait au final par le vote. Un des aspects marquants de l’opération « budget participatif », est qu’il n’y a aucun moment de délibération collective [9]. Sans même parler d’une assemblée d’habitant-e-s sélectionnant les projets « par en bas », rien n’a été envisagé pour simplement présenter l’ensemble des projets – que ce soit avant ou après la phase de sélection par les directions municipales, localement (par arrondissement, par quartier) ou globalement (à l’échelle de la ville). La liste finale des projets en lice était de toute façon révélée fin août, moins de deux semaines avant le début du scrutin ce qui, en période de rentrée scolaire, ne laissait aucune marge de manœuvre ; il ne restait plus aux « porteurs et porteuses de projets » qu’à se lancer dans un classique processus de campagne électorale [10].
Tous les moments ouverts aux Parisien-ne-s (les propositions en amont et le vote en aval) sont des phases individualisées : il n’est pas prévu de délibérer collectivement du bien-fondé des propositions, ni d’élaborer ensemble des priorités entre elles, participant ainsi au processus de sélection.
Tout cela illustre bien, chez le personnel politique comme dans les administrations contraintes par un calendrier budgétaire serré, la restriction de l’activité démocratique au seul processus électoral et son impossibilité à envisager un travail, long, difficile et exigeant, de discussion collective, d’amendements des projets, d’amélioration commune et de recherche (au moins initiale) de consensus.

Et après ?
La faiblesse de la participation au scrutin n’a bien entendu pas empêché la Maire de Paris de parler de « succès » de l’opération.
Si comme la Ville l’annonce « l’essor de la participation et de l’engagement citoyen constitue un enjeu démocratique majeur, garant de la cohésion sociale et du vivre ensemble », et qu’à ce titre, elle veuille permettre aux Parisien-ne-s d’influer encore davantage, en leur donnant la possibilité de faire connaître leurs préférences concernant l’utilisation d’une partie du budget d’investissement de la municipalité, alors nous lui demandons :
- • dès le lancement, de fixer des règles strictes et non évolutives au fil des semaines, du processus de sélection, pour le budget, c’est à dire les dates précises de début et de fin des dépôts des projets, les règles de sélection des 1ère et 2ème phase du vote,
- • de ne pas changer en cours d’élection les lieux de vote, d’améliorer la prise en compte du « bourrage » des urnes physiques ou électroniques et mettre en place un système rigoureux qui fonctionne le plus honnêtement possible (à l’image d’un scrutin électoral « classique »),
- • évidemment et sans aucune concession, qu’elle fasse en sorte que les projets relevant du plus élémentaire service public et des compétences de la collectivité, qui font partie du budget municipal et qui devraient être prioritaires (comme la rénovation d’un équipement), ne soient pas éligibles [11],
- • et, certainement le plus important, de mettre en place, longtemps en amont et à plusieurs reprises tout au long du processus, des temps et des lieux pour débattre collectivement des propositions et des sujets qui émergent.
La prise en compte des points développés ci-dessus permettrait une meilleure appropriation du budget participatif par les habitant-e-s.

[1] Rappelons que sur cette question la Ville de Paris ne respecte toujours pas la loi et n’offre pas le minimum de surface d’affichage libre correspondant aux exigences légales.

[2] Soit un total de 622. Le site du budget participatif annonce un total de 624 projets.

[3] 76 des 258 ont été au final élus en septembre.

[4] Nous n’avons pas creusé les propositions propres à chacun des 19 autres arrondissements

[5] Dans le 14e, on trouve ainsi « Rénovation de l’espace d’accueil de la piscine Didot », « Rénovation des sols des gymnases Commandant­ Mouchotte et Rosa­Parks », « Amélioration du confort dans les écoles » (derrière le terme de « confort », il s’agit ici de mettre aux normes des toilettes vétustes et de les adapter au nombre d’élèves, en augmentation), « Amélioration du stade Elisabeth », « Rénovation de la rue du Château ».

[6] « « Référendum » du PS : quel que soit le résultat, un coup pour rien ? », Libération , 18 octobre 2015.

[7] L’incitation a aussi touché les fonctionnaires de la Ville de Paris : beaucoup ont ainsi pu recevoir, sur leurs messageries électroniques professionnelles, un appel à soutenir la rénovation de la cinémathèque municipale Robert-­Lynen dans le 17e ; quant au bureau des bibliothèques de la Direction des affaires culturelles, il n’a pas oublié de mentionner à son personnel, dans un message d’information sur le budget participatif, que des projets en lice concernaient les bibliothèques.

[8] Le dimanche 20 septembre, entre 15h et 18h. Ce soir­-là, la Mairie de Paris a décidé de prolonger la durée du scrutin par voix électronique jusqu’au 26 septembre.

[9] Le 5 septembre (5 jours avant l’ouverture du scrutin), il y a eu une « agora citoyenne » pendant deux heures sur la place de la République pour présenter les projets soumis au vote.

[10] Ceci dit, sur le 14e arrondissement, nous avons été les seul­e­s à faire véritablement une campagne « à l’ancienne » avec tracts et affiches. La Maison des associations a même repris le texte explicatif que nous diffusions sur le budget participatif dans le 14e avec la liste claire et (presque) complète des divers bureaux de vote !

[11] Insistons sur ce point : nous ne nous opposons pas à la rénovation des équipements publics, nous considérons simplement que cela fait partie des obligations de la Ville et, par conséquent, que cela ne doit pas être soumis aux aléas d’un scrutin.

fichier joint à cet article :
bilan 2015 - 1.5 Mo




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